samedi 18 octobre 2008

Une éducation libertine

À vingt-six ans, Jean-Baptiste Del Amo en est à ses débuts de romancier avec Une éducation libertine. Une telle maîtrise de la plume lui promet assurément une place de choix dans les rangs des écrivains de talent de notre époque.

L’adolescent de dix-neuf ans qui entre dans le Paris de 1760 ne sait trop ce qui l’attend; il erre d’abord sans but dans la capitale étouffée par la chaleur de l’été. Au gré de ses rencontres, Gaspard se transporte de la Seine à l’atelier d’un perruquier, des bordels jusqu’aux cercles fréquentés par les nobles, et tente de survivre à la ville et à ses intrigues.

Comme le laisse supposer le titre, Une éducation libertine est un roman d’apprentissage. Dans cette histoire en quatre actes, de la rive gauche à la rive droite avec un passage par le Fleuve, vous pouvez suivre, en effet, l’évolution psychologique d’un jeune homme en formation, celle d’un libertin en devenir.

Membre de la plèbe, de la populace, il n’est rien ni personne à son arrivée dans la ville lumière. Son passé, qu’il tente vainement d’effacer de son esprit, le marque du trait grossier de la paysannerie. C’est sa rencontre avec le très attirant Étienne de V. qui le transforme et sème dans son esprit un goût de grandeur. Séduisant, mais surtout manipulateur, le comte de V. détruit Gaspard et fait naître un désir de vengeance dans l’esprit qu’il a lui-même corrompu. Le souvenir d’Étienne poursuit sans relâche le jeune homme et dicte impérieusement ses actions. De pauvre, il devient suffisamment fortuné pour s’asseoir aux tables de la petite noblesse. D’innocent, il devient dangereusement coupable. De méprisé, il devient méprisant. De Gaspard, il devient Étienne.

La transformation radicale de Gaspard me trouble profondément. N’est-ce pas là la marque du livre de qualité ? Impossible de rester neutre face à une telle métamorphose. L’esprit tordu qu’analyse avec brio Del Amo est suffisamment inquiétant pour rivaliser avec le fameux maître des parfums de Patrick Suskind. D’ailleurs, à un moment, on peut imaginer Grenouille dans l’atelier de son maître Baldini (p. 93) lorsque notre personnage principal travaille chez «Justin Billod, perruquier» (p. 86).

Le style extrêmement riche se révèle très approprié pour décrire le Paris du XVIIIe siècle, un Paris sale et crasseux, exhalant l’odeur pitoyable de la pauvreté. Toute description est rapportée, de près ou de loin, à la chair, au corps, aux sens. Grâce à cette profusion d’allusions sensorielles, je ressentais la faim de Gaspard, ses désirs, je vivais sa folie, son évolution. Parmi les passages où fleurit la métaphore et règne la personnification, le plus remarquable réside peut-être en l’assimilation de la ville à la putain : « Paris dévoilait ses jupons de misère, son entrecuisse nocturne. Les maisons étaient de dentelle vérolée, dansaient dans la moiteur de l’air. Les rues tanguaient comme un bas de résille sur la jambe languissante de la capitale […] »(p.46).



Gaspard tente furieusement de se détacher de l’emprise de sa petite ville natale, mais les souvenirs rejaillissent : Quimper rouge, rubis, grenat, fauve… Un narrateur décrit et commente les faits et gestes du personnage. Les autres protagonistes prennent fréquemment la parole d’un ton docte et moralisateur pour mettre en garde Gaspard qui s’en trouve agacé (le lecteur aussi!). C’est à travers ses réflexions personnelles, mises en évidence par l’italique et l’utilisation du «Je», que le protagoniste recherche intensément son identité et le but de son existence. Par lui-même, donc rarement de la bonne manière, il analyse son propre comportement et l’interprète à sa façon.

Pendant sa montée fulgurante au rang des puissants, avec la manipulation et le mépris, puis dans la chute, Gaspard aura apporté au lecteur toute une gamme d’émotions, mais aussi un regard sur l’homosexualité de son époque. En cela réside peut-être une bonne part de l’originalité du roman de Del Amo, très réussi à bien des égards.


Anabel Cossette Civitella

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