dimanche 26 octobre 2008

Là où les tigres sont chez eux

Jean-Marie Blas de Roblès a réussi à créer un roman tout à fait magique où chacun des protagonistes est un passionné poursuivant une quête. En effet, le pseudo-héros Éléazard von Wogau veut élucider le mystère Kircher, savant jésuite du XVIIe siècle. Élaine, son ex-épouse, veut trouver le fossile qui révolutionnerait la pensée sur l’évolution du monde. Moéma, sa fille, recherche le bonheur. Nelson veut venger son père. Et ainsi de suite.

L’auteur a construit son livre comme si se suivaient plusieurs romans qu’on pourrait d’abord croire indépendants les uns des autres. Un narrateur omniscient raconte l’histoire de certains personnages (Éléazard, Élaine, Nelson, Zé, Mauro, Moéma, etc.) dans des sous-chapitres. Le fil de l’histoire se trouve continuellement interrompu par une biographie. En effet Éléazard se triture l’esprit à comprendre le récit que Caspar Schott (« Je », narrateur-témoin) a entrepris sur son maître Kircher. Cette façon de faire tend à placer le lecteur dans une frustration permanente. Il quitte l’action, le déroulement de l’histoire qui se passe dans le Brésil du XXe siècle, parce que le récit de Schott le ramène, au début de chaque chapitre, en plein XVIIe siècle, au cœur d’une pensée assez limitée. Cette dichotomie entre la pensée et l’action agace, mais force le lecteur à poursuivre sa lecture, impatient qu’il est de pouvoir établir le lien entre les deux époques.

Je me suis parfois sentie agacée, énervée et même irritée, mais j’ai voulu savoir. L’auteur nous pousse à ressentir une profonde envie de lire, de savoir, de découvrir, et c’est là son tour de force, son incroyable originalité que le lecteur saura apprécier grandement, tout comme moi.

Monsieur Blas de Roblès fait preuve d’une belle capacité descriptive et analytique. Nous sentons les personnages, nous vivons avec eux, nous nous identifions à eux. De plus, il démontre une solide érudition qui lui permet de nous faire comprendre une part du questionnement philosophique du XVIIe siècle. Nous suivons un certain cheminement de la pensée qui, en quelque sorte, perdure encore aujourd’hui en ce qui concerne la recherche de nos origines et celle de la vérité.

Ce roman, cette quête de la vérité, se révèle assez pessimiste. Tous les protagonistes se perdent d’une façon ou d’une autre. Éléazard se sentant trahi par Caspar ou Kircher abandonne ses recherches, Élaine se perd dans la jungle malgré ses découvertes, Moéma tombe dans la drogue, Nelson accomplit sa vengeance et meurt, l’avenir de Loredana s’annonce bien sombre, etc. De plus, Éléazard, l’intellectuel, pris dans sa bulle Kircher, si on peut le dire ainsi, ne voit presque rien de la réalité qui l’entoure ni des drames vécus par les êtres qui lui sont chers.

C’est un roman à lire et à relire : il donne à réfléchir, mais permet de conserver, du début à la fin, le plaisir de lire… C’est rare !

Anne-Sophie St-Pierre-Clément

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