Une femme follement attachante
Je connais très peu la religion musulmane. Les gens d’origine arabe que je connais sont peu pratiquants, catholiques, agnostiques ou athées. Ici, les femmes que nous croisons semblent souvent aussi libres que les hommes. Or, j’ai toujours eu l’impression que, en « Afghanistan ou ailleurs », les musulmanes se contentaient d’être soumises aux hommes. Dans Syngué Sabour : Pierre de patience, on est témoin des confidences osées d’une femme voilée, dans une ville en état de guerre.
Témoin, c’est le cas de le dire, parce qu’Atiq Rahimi nous donne à voir la scène par l’œil d’une caméra qui serait fixée au coin d’une pièce possédant comme seul décor, un rideau vert et un lit sur lequel est étendu un homme devenu comateux à la suite d’une rixe stupide,. De là, on enregistre les va-et-vient ainsi que la déchéance de la femme du blessé. En effet, après dix années de mariage, celle-ci profite de la présence inconsciente de son mari pour lui dévoiler tout ce qu’elle s’est toujours gardée de lui dire. Devant lui seul, devant sa Syngué Sabour, cette pierre mythique qui aurait le pouvoir d’absorber tous les tourments, elle se défoule, dans l’espoir que la pierre éclate afin que, comme le veut la légende, elle soit délivrée.
Dès les premières lignes, je me suis réjouie de retrouver un style d’écriture simple, saccadé, frôlant la poésie, et malgré tout efficace; il me rappelait un peu celui de Jean-Louis Fournier, l’auteur de Où on va, papa ? Ce style d’écriture, on le découvre au fil de la lecture, révèle le caractère obsessif et délirant du protagoniste féminin. En effet, la répétition de mots tels que « Al-Qahhâr, Al-Qahhâr… » et celle d’actions formulées de la même façon, « Elle lui verse délicatement des gouttes dans les yeux. Une, deux. Une, deux […] », sont typiques des esprits obsessifs.
Puis, contrairement à ce qui se passe dans Jour de souffrance où l’on conclut rapidement que le personnage de Catherine Millet est mentalement instable à cause des propos paranoïaques de la narratrice, ce sont les réflexions déraisonnées du personnage féminin de Rahimi, caractérisées, entre autres, par des points de suspension fréquents, qui traduisent la démence : « Ce n’est pas moi. Non, ce n’est pas moi qui parle… C’est quelqu’un d’autre qui parle à ma place… avec ma langue. »
C’est vrai, la narratrice de Jour de souffrance et le personnage de la musulmane sombrent dans la folie, mais loin de moi l’idée de les mettre dans le même bateau. Le personnage de Catherine M. m’insupporte alors que je peux m’identifier à la femme du mourant. Cette dernière aborde des thèmes universels comme la stérilité, le sang impur de la femme et l’amour, et ce, sous un angle de vue intéressant, celui d’une musulmane dont la parole est momentanément libérée.
Donc, un livre dérangeant, minimaliste, bref et touchant pour un lecteur plein d’empathie. En passant, à ce même lecteur, je déconseille fortement la lecture d’Un jour de souffrance…
Caroline St-Pierre
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