mercredi 15 octobre 2008

Une éducation libertine

D’abord, Jean-Baptiste Del Amo. Il s’agit d’un fort jeune auteur (à peine vingt-six ans) qui vit en France, à Montpellier, et qui est déjà récipiendaire de quelques prix pour ses nouvelles. Une éducation libertine est son premier roman. À vrai dire, c’est tout un prodige. Que ce livre soit un premier roman, il fallait réellement le savoir, car pour ma part, je ne m’en suis jamais aperçue.

Il peut paraître étonnant qu’un si jeune écrivain réussisse aussi bien du premier coup. Pourtant, la note est presque parfaite. Le style d’écriture est personnel, il nous enivre presque avec de longues phrases bien construites. Le niveau de langue est soutenu, les descriptions sont percutantes et très réussies, les dialogues ajoutent au texte sans l’alourdir et, en plus de toutes les odeurs qui règnent dans cette histoire, un parfum de provocation se hume à travers chacune des 431 pages, comme si Del Amo avait ouvert la bouteille sans avoir l’intention de la refermer.

Il y a donc ce parfum de provocation. L’histoire de ce roman est classiquement construite. Divisée en quatre parties, elle présente un jeune homme nommé Gaspard qui vient de Quimper et qui décide de quitter sa province pour Paris, animé d’une soif extraordinaire d’ascension sociale. Arrivé en terre promise, les choses ne se passent pas toutes comme il l’aurait souhaité.

Le Fleuve, rive gauche, rive droite, la Seine.

Gaspard ne connaîtra jamais les grandes soirées de Versailles. Il tentera de s’élever dans la société, saisissant les occasions comme elles se présentent, sans trop réfléchir. Après que Gaspar a connu une médiocre bourgeoisie et un avant-goût de la noblesse, le destin s’acharne sur lui et le rejette au fleuve; il retombe aussi bas qu’il avait commencé. Ascension sociale? Non, descente aux enfers. À l’instar d’un certain Rastignac (Le Père Goriot de Balzac), Gaspar ne sait pas faire les bons choix et il se retrouve exploité. Il est comme un enfant qu’on séduit par de belles promesses et qu’on abandonne dès qu’on s’est lassé de sa naïveté. Et la provocation dans tout cela? Nous y sommes.

Del Amo nous présente une ville libertine où la prostitution court les rues, les ruelles, se cache dans les bordels et survit dans l’indifférence populaire. Gaspard se vendra. Mais Del Amo aborde une autre facette de la prostitution du Paris du XVIIIe siècle. Il met l’accent sur les relations homosexuelles. L’homosexualité est d’ailleurs un thème souvent abordé dans ses nouvelles. Si la psychologie des relations est exploitée, notamment en ce qui a trait à la relation avec Étienne de V., dangereux séducteur qui initiera Gaspard à des amours réprouvées par la morale de l’époque et condamnées par l’Église, c’est le côté froid du commerce charnel qui étonne. À certains moments, l’esprit des personnages s’efface pour laisser place à de longues descriptions qui ne laissent pas indifférent. C’est un roman très réaliste qui présente la vie et les relations des personnages de façon crue. Mais il faut dire que le contexte de la prostitution et des complications amoureuses s’y prêtent. Malgré tout, le roman donne mal au cœur. Les longues descriptions, destinées tantôt à présenter un Paris en décomposition, malodorant, mourant de la misère, tantôt à dresser le portrait du quotidien de Gaspard dans ses tentatives pour survivre, écœurent tout simplement. Jamais je n’ai autant sauté de pages à cause d’un profond dégoût. Les descriptions (présentes tout le long du livre) de têtes arrachées, de pendaison, de la prostitution, de la rue et des ruelles, et de l’odeur de Paris en 1760, sont horribles au point de rendre malade. Et là, si c’était l’intention de l’auteur que de donner des haut-le-cœur au lecteur, eh bien sachez que c’est réussi dans mon cas. À mon avis, ce côté un peu beaucoup inspiré du Parfum de Patrick Süskind aurait pu être exploité de façon un peu moins appuyée. Il faut savoir doser.

Mais le roman se mérite une place dans la sélection du Goncourt. L’auteur, dans une maîtrise rare de la langue, s’amuse à nous raconter cette histoire parmi tant d’autres qu’a connues le Paris de 1760. Tout y est : l’anonymat des individus, la désolante réalité de la mort qui abroge les classes sociales, la misère d’un peuple affamé et la soif d’ascension sociale. Pas étonnant qu’il y ait eu une révolution quelques années plus tard…

Janie Deschênes

1 commentaire:

Anonyme a dit…

bravo pour votre commentaire très explicite ! moi aussi j'ai lu ce livre et je vous rejoins sur le fait que c'est parfois diffcile à lire !