Syngué Sabour signifie, en perse, « pierre de patience » : une pierre à laquelle on peut confier tous nos secrets, nos peurs, notre désespoir et notre regret. Après avoir absorbé toutes nos souffrances, la pierre éclatera en nous libérant de nos fardeaux.
Dans une salle vide, une femme sans nom trouvera sa propre pierre de patience en la personne de son mari, devenu comateux à la suite d’une blessure de guerre. Subissant chaque jour les conséquences de la folie des combats incessants et inutiles, elle sera poussée à se révéler de plus en plus à cet homme qui n’avait jamais porté attention à elle. De fil en aiguille, le lecteur découvrira le passé chargé de cette femme. Toutefois, la Syngué Sabour étant ce qu’elle est, elle éclatera inévitablement avant que la dernière page ne soit tournée.
Atiq Rahimi situe son histoire « En Afghanistan ou ailleurs » d’après la première page de son roman, et sa participation dans la guerre d’Afghanistan entre 1979 et 1984 se fait sentir dans l’ambiance cynique et désabusée de la guerre, dans laquelle les soldats ne se battent plus pour protéger ce qui leur est cher, mais pour la gloire et pour assouvir leur soif de sang, quitte à abattre ceux qui étaient anciennement des frères. Toutefois, encore plus que son passé dans l’armée, c’est le diplôme d’Atiq Rahimi en audiovisuel et son expérience dans la mise en scène de son film Terre et cendres qui laissent une trace profonde sur l’écriture du roman. Les phrases courtes, les descriptions relevant autant de la mise en scène que de la poésie, et surtout la façon dont les scènes sont décrites à partir d’endroits multiples, mais dans un espace clos, comme si le lecteur était placé devant un écran et qu’une main experte maniait une caméra dans la salle vide, tout transmet une image vibrante de l’environnement et de l’action.
Mais la mise en scène claire et précise, les sons, les odeurs, les personnages et même la guerre ne sont qu’artifices de magicien, un jeu de fumée et de miroirs pour retenir l’attention du lecteur afin de laisser l’atmosphère du livre doucement s’implanter son esprit et ensuite ne jamais lâcher prise. Bientôt, rien n’aura d’importance sauf d’écouter la femme livrer ses secrets et de devenir un témoin de l’oppressante montée de sa folie. Bientôt, la réalisation de son impuissance forcera le lecteur à prier avec la femme pour que la Syngué Sabour reste sauve, qu’elle ne s’arrête jamais d’écouter, sinon pour éclater et être délivrée enfin du récit de la femme.
Alors que le lecteur est entraîné de plus en plus profondément dans le récit, il en vient à ne plus pouvoir porter attention à ce qui l’entoure. Le silence imposé par le style épuré de l’écriture
se maintient jusqu'à la finale qui éclate bruyamment avant de poser une dernière question devant laquelle le lecteur ressentira le désir de prendre du recul afin de faire disparaître l’ambiguïté et de trouver une réponse claire.
Un désir vain, toutefois, alors qu’au milieu de la lecture on se demande pourquoi la femme ne tient plus le compte des perles de son chapelet et que l’on est troublé de constater qu’elle a clairement cessé de l’égrener et l’a mis de côté dès les premières pages. On cherche désespérément à se délivrer du rythme subtilement imposé depuis le début du livre, mais après le dernier mot, la pierre de patience aura beau avoir éclaté, la respiration lente et profonde de l’homme comateux continuera à hanter nos pensées,
Gregory Sternthal-Ouimet
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