« Faiseuse d’anges », Marie G. se voit condamnée à mort parce que les enfants qu’elle « fait passer » auraient pu être des futurs soldats. Lucie L. attend sur son lit qu’un fœtus mort lui rende son ventre. Exécuteur, Henri D. se prépare mentalement à être la dernière personne à toucher Marie. Le temps d’une journée et d’une nuit, ces trois âmes perdues s’égareront dans leurs souvenirs.
Dans ce dernier roman de Valentine Goby, ce n’est pas l’histoire de Jules-Henri Desfourneaux, un des derniers exécuteurs français, ni celle de Marie-Louise Giraud, seule avorteuse à subir la peine de mort en France, qui importent. Ce n’est pas non plus le régime du Maréchal Pétain sous l’occupation allemande que Goby veut relater. Dans Qui touche à mon corps je le tue, on plonge dans l’univers intime des trois personnages, en découvrant leurs peurs, leurs espoirs, leurs grandes failles et leurs petits moments de grandeur.
On commence par découvrir leur jeunesse, qui fut marquée pour les trois par un attachement particulier à leur mère, qui aura des conséquences nettement freudiennes sur leurs vies futures. Marie était un remplacement, elle sera ignorée et en viendra à aimer les enfants des autres. Lucie était trop aimée, elle ne pourra plus jamais abandonner complètement son corps à quelqu’un d’autre. Henri est convaincu que sa mère est morte à cause de lui, il deviendra « exécuteur des hautes œuvres ».
Encore plus que dans les histoires touchantes et humaines des personnages, c’est dans l’évocation de l’environnement de ceux-ci que se révèle le talent particulier de Valentine Goby. Les décors splendides, d’une haute sensualité, frappent particulièrement l’imagination. On voudrait pouvoir passer des journées entières allongé dans le grenier de la mère de Lucie, pour pouvoir ressentir pleinement la texture des tissus, écouter le silence apaisant, et laisser courir sur soi la douce lumière tamisée. Et personne n’a jamais vécu la sensation de glisser un bas neuf à son pied comme Henri l’a vécue. Ce qui rend encore plus frappant ce buffet pour les sens, c’est son contraste avec la douce mélancolie des personnages. Lucie est accablée par le spectre de l’enfant dont elle se débarrasse, et les remords causés par sa conduite envers sa mère la hantent toujours. Marie est tourmentée par l’idée qu’elle ne contrôle plus sa vie, et que des murs froids et impersonnels l’empêchent de voir une dernière fois les enfants qu’elle héberge. Finalement, sous un ciel gris, Henri s’efforce de se débarrasser de son humanité pour les quelques minutes durant lesquelles il aura à prendre celle d’une autre.
Attention toutefois, Qui touche à mon corps n’est pas un livre pour ceux qui désirent se faire raconter une histoire. Le récit des personnages se déroule très lentement à travers leurs réminiscences, et les trois protagonistes n’effectuent quasiment aucune « action » véritable. Mais pour ceux qui désirent se plonger dans un univers sensuel et émotionnel, Valentine Goby nous offre un petit bijou.
Gregory Sternthal-Ouimet
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