samedi 25 octobre 2008

C'était notre terre

Quelque part dans le Dahra algérien, un domaine français s’étend six cent cinquante-trois hectares de terres nord-africaines. Ce domaine, c’est Montaigne, et ses propriétaires depuis plusieurs générations sont les De Saint-André. Quand, en 1962, l’Algérie entière se rebelle contre les colons qui se sont emparés des terres qui étaient les siennes, le monde des De Saint-André s’écroule et s’enlise dans la terreur. Dans C’était notre terre, Mathieu Belezi fait valser sur les interpellations litaniques de ses personnages les derniers instants de l’Algérie française.

C’était notre terre est un roman où s’entrecroisent les voix de six personnages dont les destins sont liés de la plus marquante des manières. D’abord le père, Ernest Jacquemain, puis sa femme, Hortense Jacquemain, née de Saint-André. Viennent ensuite leurs trois enfants : Antoine, le fils aîné qui se ralliera aux révolutionnaires algériens, Marie-Claire, fille cadette et effacée, et Claudia, benjamine amoureuse de la terre qui l’a vue naître. Finalement, Fatima, la domestique kabyle qui a grandi en servant les Jacquemain et a élevé leurs enfants. Cette saga familiale et intergénérationnelle raconte la fin de l’emprise française sur l’Algérie. Pour la famille de riches colons déjà affaiblie par l’absence de vie familiale, la perte potentielle du patrimoine hérité de leurs ancêtres sera fatale.

Chaque narrateur raconte ses impressions et ses sentiments par rapport aux événements de son quotidien à la manière d’une divagation personnelle monologuée. Dans ces monologues, les narrateurs, chacun à leur tour, s’adressent à leurs absents ; le père décédé, le mari à l’état de légume, le frère disparu ou la sœur éloignée. Avec les répétions incantatoires d’interpellations et la quasi-absence de ponctuation, Mathieu Belezi nous fait entendre la triste musique de la guerre. Pour chaque chapitre, un seul point final, comme une page de plus qui se tourne et qui nous rapproche inévitablement de la fin de l’Algérie française. Seules sont présentes les interrogations désespérées et les exclamations de la déception, de la surprise ou de la colère. Bien que parfois difficile à suivre parce que certaines phrases s’étendent sur plus de 40 pages, l’histoire donne l’impression d’un témoignage cœur à vif des victimes d’une scission culturelle. Des chapitres sans titre, sans indications spécifiques, nous permettant d’identifier le narrateur, en dehors du lieu.

Un roman difficile à lire à cause de sa charge émotionnelle importante, mais qui mérite certainement d’être lu, ne serait-ce que pour entrevoir la terreur qui a habité les cœurs des gens qui ont vécu cette guerre de race, de religion et de classe sociale.

Anne-Sophie Voyer

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