dimanche 2 novembre 2008

Syngué Sabour: Pierre de patience

À 46 ans, Atiq Rahimi signe son quatrième roman. Il porte le titre de Syngué sabour, qui signifie littéralement « pierre de patience ». Il s’agit là d’un roman riche en émotions qui suscite notre attention, et ce, dès les premières lignes.

L’auteur met en scène une jeune femme qui est déchirée par l’état comateux de son époux, blessé lors d’une querelle futile. En Afghanistan ou ailleurs, comme le précise Rahimi, c’est la guerre. L’auteur réussit parfaitement à nous plonger dans un décor singulier et très réaliste. Depuis quelques semaines, cette femme s’occupe de son mari en lui fournissant des soins très rudimentaires, ce qui reflète la situation économique et sociale du pays durant cette période. L’essentiel du roman se déroule dans une petite pièce assez étroite où git le corps de l’époux inconscient, et c’est d’ailleurs une part de l’originalité du roman.

En effet, par ce biais, l’auteur donne une forme théâtrale à son roman. La femme est dans une chambre close et parle à son mari inconscient et le lecteur « entend » ce qu’elle dit. De plus, on s’aperçoit au fil du roman, que l’on n’a pas accès aux pensées du personnage, ce qui accentue le parti pris théâtral.

La femme se remémore son enfance, son adolescence et ses quelques années de mariage dont elle garde des souvenirs amers qui lui écorchent le cœur. Tout au long du récit, elle se livre à des monologues qui lui permettent d’exprimer tout ce qu’elle n’a pu dire durant vingt-sept ans. Elle déverse des flots de souvenirs en pensant que son homme, qui devient sa pierre de patience, pourra tout absorber et ainsi la libérer de son mal-être. Ces brèves confidences la replongent dans des situations vécues qui parfois l’émeuvent douloureusement et qui mènent de plus en plus à sa destruction : elle ne se reconnait plus et a parfois même peur d’elle-même. Je pouvais parfaitement entendre ses cris stridents qui appellaient à l’aide. La défaillance qu’elle connait et sa vulnérabilité face à la situation m’ont rapprochée de cette jeune afghane; j’avais presque envie de la consoler pour tenter de rendre sa peine moins pénible. Parfois désirée, parfois délaissée, mais le plus souvent ignorée et mal aimée, la jeune femme possède les caractéristiques qui peuvent pousser le lecteur à poursuivre sa lecture. On remarquera plus tard qu’elle est aussi une personne très intelligente et extrêmement maligne, loin d’être aussi faible qu’elle pourrait le paraître au début du roman.

Dès le départ, l’auteur nous surprend par la manière dont il présente l’écoulement du temps. Celui-ci est rythmé par les souffles du comateux, par l’égrènement d’un précieux chapelet ainsi que par les prières de la jeune femme qui vont en se raréfiant. Le style de l’écriture est très simple et très accessible. Ces petites phrases de construction syntaxique élémentaire se révèlent suffisantes et assez profondes pour faire comprendre ce que nous transmet l’auteur. J’ai été transportée dans un vrai tourbillon dès les premières phrases. Ce rythme effréné m’a beaucoup plu, il m’a même permis de comprendre un peu plus la psychologie du personnage.

À quelques reprises dans le roman, l’auteur évoque deux contes : d’abord celui de syngué sabour, la pierre de patience qui se charge des peines et des chagrins jusqu’à en exploser, et un conte transmis depuis des générations et digne des mille et une nuits! Je dois vous avouer que l’insertion de ces récits dans le récit m’a complètement charmée, c’était comme une trêve dans la succession des lamentations de la femme, et cela contribue, je crois, à équilibrer le fond et la forme du roman.

En bref, Syngué Sabour est un livre qui surprend dès le départ et qui est très agréable à lire et parfaitement accessible. De plus, la fin, qui s’avère assez troublante, nous porte à réfléchir un peu plus sur l’évolution psychologique du personnage principal.

Assirem Amal Boumati

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