vendredi 21 novembre 2008

C'était notre terre

Le livre de Mathieu Belezi se présente comme une chronique à la fois de la famille Saint-André, propriétaire du domaine agricole de Montaigne, au village de Cassagne et, en toile de fond, de l’Algérie durant la décennie qui précéda l’indépendance.

Les personnages représentent bien les acteurs qui ont marqué cette période troublée et marquante de l’histoire de l’Algérie et de la France. Du côté des colons , on retrouve celles et ceux qui sont durs avec leurs ouvriers et employés indigènes qu’ils n’admettent que comme des serviteurs soumis et corvéables (Henri, Ernest, Hortense), celui qui est conscient de l’injustice flagrante faite aux indigènes et qui n’hésite pas à se sacrifier pour leur cause (Antoine), celle qui ne s’est jamais sentie à l’aise dans ce pays ni d’ailleurs dans son corps et qui, ressentant un profond malaise, finit par entrer au couvent (Marie-Claire), et plusieurs seconds rôles tenants de l’ordre colonial (l’abbé Blondel, divers propriétaires de domaines coloniaux, des militaires, etc.). De l’autre côté, on retrouve la grande masse miséreuse des Algériens indigènes qui sont les bêtes de somme ayant permis aux colons de transformer des terres sauvages en vastes domaines florissants. De Fatima, l’ancienne prostituée devenue femme de ménage dévouée jusqu’à la fin à sa patronne qui pourtant ne la ménage guère, à Kaddour, l’ouvrier agricole exploité qui finit par rejoindre le parti de la révolte contre l’ordre colonial, en passant par Bouzina, le tenancier de bordel opportuniste de la dernière heure, qui annonce le sort qui sera réservé à l’Algérie.

Prenant tour à tour la parole à travers la plume de l’auteur, six personnages livrent leur histoire et permettent ainsi d’écrire une version humaine et plus accessible des multiples désordres qui ont marqués la fin de l’ordre colonial en Algérie. On assiste ainsi à la désagrégation d’une famille de colons, celle des Saint-André, dont les membres sont soit exilés en France, soit morts dans la lutte sanglante qui a marqué cette période ou encore, comme Ernest, mort victime de ses propres abus. C’est aussi la fin d’un village ou d’une certaine vie du village de Cassagne qui, à l’indépendance, est rebaptisé. C’est enfin la fin d’un ordre colonial qui n’avait aucune chance de perdurer (symbolisé par le refus d’Hortense de quitter « sa » terre), car le fossé entre les communautés était grand.

Page après page j’ai été envoutée par le style de l’écriture qui m’a surprise et enchantée. L’auteur omet de mettre des points et des majuscules par moment, mais en gardant les respirations imposées par la ponctuation habituelle, ce qui le rend le rythme très original. On peut difficilement cesser la lecture : l’absence de point crée une accélération qui rend la pause problématique…

Bref, j’ai énormément apprécié la lecture de ce roman, car pour une fois, j’ai pu avoir un petit aperçu de la colonisation française en Algérie vue aussi par les colons. Ce livre est chargé en émotions à chaque page et m’a énormément marquée.

Assirem Boumati

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