vendredi 21 novembre 2008

C'était notre terre

Pour comprendre ce récit, j’ai fait une brève recherche historique. L’Algérie, colonie française depuis 1830, a obtenu son indépendance en 1962 après une guerre qui a fait plus d’un million de morts et pendant laquelle ont été commises des atrocités inimaginables. Cela me laisse croire que ce récit aurait pu être vrai s’il n’était pas présenté comme un roman. C’est plausible.

J’ai aimé la façon dont l’auteur a structuré son roman. À chaque chapitre, il nous place carrément dans la tête d’un personnage. Il nous donne ses impressions, ses émotions, ses aspirations, ses ambivalences, etc. Cela permet de dresser le portrait psychologique de chacun d’eux. Cela permet aussi de les différencier de façon claire, nette et précise. C’est du grand art que de pouvoir faire ressentir le personnage à ce point; c’est sans doute l’apanage du monologue intérieur.

Sur un plan plus sociologique, l’auteur réussit à nous démontrer comment la haine engendre la haine, le mépris engendre le mépris. Il nous démontre comment la colonisation se fait au détriment des peuples autochtones. Il nous démontre aussi comment le racisme conduit aux pires perversions. Il nous démontre encore comment l’appropriation de la richesse engendre la peur de perdre, entraine à rationaliser sa supériorité et à s’activer à détruire la menace. Notre Dieu est meilleur que le tien. Nous savons travailler la terre. Vous ne savez pas, vous êtes fainéants. Notre civilisation est meilleure que la vôtre, etc. Ces comportements sont tellement ancrés au plus profond des individus que les deux filles, Marie-Claire et Claudia, près de 50 ans plus tard, à la fin de leur vie, adoptent la même attitude, les mêmes certitudes de leur supériorité, de racisme et de mépris à l’égard de leur aide ménagère. L’auteur en arrive à nous démontrer que le racisme peut se rationnaliser mais qu’il ne se raisonne pas. Encore ici, c’est du grand art : jamais de thèse pour la démonstration, seulement le regard forcément biaisé qu’un personnage pose sur les faits.

En résumé, disons que l’auteur a une connaissance pointue de la psychologie humaine et de la sociologie du colonialisme. Sa plume est d’une finesse et d’une force qui nous fait tressaillir tout au long du roman. Bien qu’il soit très dur, c’est un beau livre.

Anne-Sophie St-Pierre-Clément

Aucun commentaire: