mardi 30 septembre 2008

Un chasseur de lions.

Un chasseur de lions… qu’est-ce que cette phrase évoque pour vous? La savane, le courage, la poursuite de félins, la sauvagerie et… la beauté du monde. Certainement pas Paris, la vie intellectuelle, la révolution, l’impressionnisme et le raffinement… Un chasseur de lions, c’est le titre du dernier roman d’Olivier Rolin, auteur français prolifique, qui s’inspire de la toile la moins connue de Manet, Portrait de Pertuiset, tueur de lions (1881), pour tisser un chassé-croisé dans lequel le modèle et l’artiste sont les principaux personnages. Un chasseur de lions ne se veut pas une biographie d’Édouard Manet, mais une intrigue «romanesque et romancée», telle qu’annoncée par l’auteur en quatrième de couverture. La trame repose sur des faits historiques à partir desquels Rolin a brodé sa propre vérité. Il nous raconte ainsi l’amitié née entre deux individus aux antipodes l’un de l’autre : un artiste gracieux et spirituel et un chasseur vulgaire au regard éteint, tels que le narrateur nous les décrit (p. 9). Le paradoxe qui les unit est exploité tout au long du livre qui raconte leurs vies parallèles, l’un établi à Paris, et l’autre en constante mouvance, cherchant l’aventure, entre autres en Afrique du Nord et en Amérique du Sud. Parmi les personnages qui se greffent à leur histoire, on reconnait Berthe Morisot, Charles Baudelaire et Stéphane Mallarmé.

Un narrateur anonyme joue un rôle que l’on devine autobiographique, et introduit ainsi une autre voix narrative et un deuxième temps de narration. Qui est-ce ? un homme énigmatique dont on a, par moment, de la difficulté à déterminer s’il est le contemporain de Manet ou le nôtre, et qui, grâce à sa curiosité, constate l’œuvre du temps qui passe. Olivier Rolin ne se contente pas de relater une histoire, il présente le reflet actuel de celle-ci, un portrait de l’évolution de la civilisation : «L’idée a quelque chose de séduisant, d’une rue tirant son nom des lointains qu’on y découvrait, et qui ont désormais disparu derrière la croissance de la ville», pense-t-il (p. 40). Le moins qu’on puisse dire, c’est que Rolin – ancien reporter – a le souci du détail. Cependant, les trop nombreuses références brisent le rythme du récit. Le lecteur perfectionniste qui souhaitera comprendre chaque allusion culturelle ou historique, et repérer chaque lieu sur une carte sera confronté à une recherche énorme. Il faut donc taire quelques-unes de ces envies, et s’armer d’un atlas. Le souci du détail de l’écrivain se reflète également dans le portrait qu’il trace de Manet. Les éléments biographiques jumelés au contexte historique et aux descriptions de toiles aboutissent à une réflexion artistique étoffée et passionnante : «Dommage […] qu’on ne puisse pas peindre les discours. À défaut de peindre les mots, je peindrai la bouche qui les profère», remarque le Manet de Rolin (p. 140). L’auteur allie son œil et sa plume pour décrire à merveille plus d’une dizaine de toiles de Manet, sans toujours les nommer; c’est pourquoi un parcours de l’œuvre du peintre permet de mieux apprécier la lecture.

La qualité de l’écriture est séduisante : on baigne dans un univers visuel et imagé aux coloris vifs appuyés par une langue soutenue et un style recherché. Si Pertuiset «a besoin […] de la solidité rassurante du lieu commun» (p.203), ce n’est pas le cas de Rolin, qui fait preuve de fantaisie en utilisant des jeux lexicaux et des procédés stylistiques tout à fait savoureux. La variété de la langue s’exprime aussi par les différents niveaux d’humour qui sont présents tout au long du roman. Par exemple, Rolin emploie une métaphore issue du langage populaire pour designer Pertuiset en tant que «gros lard» (p. 9). Mais il change de registre (p. 128) lorsqu’il met les mots suivants dans la bouche de Pertuiset : «La gloire d’ouvrir une terre nouvelle à la civilisation! D’augmenter le trésor des connaissances humaines, d’inscrire son nom au bas de la page du Progrès!», autant de lieux communs que Pertuiset ne reconnaît pas comme tels, mais que le narrateur qualifie d’«inepties enflées» (p. 140).

L’humour fin et intelligent de Rolin soulève le rire plus d’une fois, que ce soit dans une scène comique, grâce à la polysémie, aux interpellations du lecteur, aux titres animaliers des chapitres ou devant l’amusant chasseur. Eugène Pertuiset est le personnage le mieux construit du roman, celui auquel, malgré la grossièreté et la robustesse, on s’attache et face auquel on éprouve des émotions. Son nom génère même un nouvel adjectif, « pertuisesque » (p. 211), dans le dictionnaire Rolin. Ce dictionnaire comprend également des termes rares comme «olibrius». En effet, pourquoi ne pas «sortir un peu les vieux mots, leur faire faire un tour dans la langue» (p.145)? On ne peut critiquer l’œuvre de Rolin sans parler de sa saveur très politique. Ayant vécu a Paris sous la Commune de 1871, Édouard Manet sera témoin de la Semaine sanglante. La révolte est sans doute l’un des trois principaux thèmes du roman (avec l’œuvre du temps et la raison d’être de l’art). Le lecteur se souviendra du fait suivant : «La Révolution est toujours assassinée!» (p. 47 et 147).

Un chasseur de lions est une œuvre littéraire dont l’originalité ne fait aucun doute. Tout comme Manet rejette les conventions néoclassiques, Rolin rejette la forme classique du roman. L’artiste-peintre précurseur de la modernité et l’homme de lettre novateur ont certainement des points communs, que ce soit leur démarche artistique inventive ou leur fibre révolutionnaire. Il est à souhaiter que la difficulté de lecture engendrée par la très grande quantité de références diverses ne compromette pas le succès du roman. Si seulement «les mêmes combats [n’étaient] pas à mener, [car] à jamais, la bêtise et le conformisme, le mauvais goût sont toujours triomphants» (p.180) !

Florence Paquin-Mallette

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