Chers lycéens, chères lycéennes,
Merci. Un grand, grand merci. Je ne saurais vous dire quel honneur vous me faites en élisant Un brillant avenir comme lauréat du XXIème Goncourt des Lycéens. Je ne m’y attendais pas du tout.
Nous venons de vivre, ensemble et séparément, pendant deux mois, une fantastique aventure. À la mi-septembre, parce que votre professeur de français s’était porté volontaire, vous vous êtes retrouvés avec quinze livres de la rentrée littéraire choisis par vos aînés, les jurés du Prix Goncourt. Vous avez dû, de ces quinze livres, en lire quatre, cinq, six ou davantage, pour en discuter ensuite avec vos camarades. Certains d’entre vous n’avaient encore jamais lu de romans. Beaucoup ignoraient tout de la littérature contemporaine, de la rentrée littéraire, des enjeux de la course aux prix, qui donnent à une maison d’édition une chance de survie et à un écrivain la liberté de vivre de sa plume. Au début, peut-être certains d’entre vous ont-ils été rebutés par l’ampleur de la tâche, la taille ou le sujet de certains livres à lire. Mais peu à peu vous vous êtes pris au jeu. Vous avez compris que vous aviez le pouvoir d’agir sur le réel, et vous avez découvert les rouages de la démocratie, le vote, le pouvoir de la rhétorique et la loi de la majorité.
De mon côté, vivant en Amérique depuis dix-huit ans, j’ignorais presque tout du Goncourt des Lycéens. Quand j’ai appris qu’il y aurait des rencontres avec les lycéens dans plusieurs régions de France, j’ai accepté de me prêter au jeu. Je dois avouer que j’ai d’abord été désarçonnée. Placée sur une estrade à côtés d’autres écrivains dont certains étaient accueillis par vous comme des stars, j’ai parfois eu l’impression de me retrouver dans une sorte de marché où il fallait vendre son livre comme une marchandise. Quand une main se levait dans la salle et que la question était inévitablement pour un autre écrivain, remontaient en moi de vieux complexes enfouis depuis les années de lycée: ceux de la fille qui voudrait tant être “sympa,” “cool”, et populaire, mais qui reste dans son coin et que ses camarades croient hautaine et méprisante parce qu’elle est timide et peu sûre d’elle. J’ai quarante-cinq ans, vous en avez entre quatorze et dix-huit. Le corps vieillit, mais vous verrez qu’on a toujours quinze ans dans son coeur. Face à vous, j’avais conscience de cela, du vieillissement du corps, car votre jeunesse nous renvoie en miroir notre âge.
Et pourtant, au cours de ces deux mois, moi aussi je me suis prise au jeu. J’ai apprécié de retrouver vos jeunes visages, d’entendre vos questions qui devenaient plus précises et subtiles à mesure que vous lisiez les livres, et de partager avec mes petits camarades une solidarité rarement donnée au romancier, car écrire est un métier solitaire. Même sans avoir aucune chance de remporter ce prix, j’étais heureuse d’avoir vécu avec vous une aventure qui me semblait symboliser l’exception culturelle française. J’avais l’impression que quelque chose d’important s’était passé.
Vous imaginez donc ma surprise, et ma joie, quand j’ai reçu l’appel de Rennes le 12 novembre. Que vous ayiez pu choisir un roman racontant sur un demi-siècle l’histoire d’une Roumaine émigrée aux États-Unis, et racontant en parallèle le rapport conflictuel, compliqué, entre cette belle-mère roumaine et sa belle-fille française, me paraît encore incroyable et me touche profondément. Certains d’entre vous m’ont interrogée sur la structure de ce livre. Comme j’ai répondu lors des rencontres, j’ai longtemps hésité . Je craignais de gâcher la belle histoire d’Elena et de Jacob en y mêlant une autre histoire, moins épique et plus psychologique. Finalement j’ai compris que je n’avais pas le choix car le sujet du livre, c’était le rapport entre le passé et le présent. entre le rêve d’avenir, et ce qu’était devenu ce rêve. Mon roman serait peut-être trop difficile à lire ainsi et ne rencontrerait aucun succès, mais tant pis: il n’y avait que sous cette forme qu’il était cohérent avec son projet.
Vous, les plus jeunes, me dites aujourd’hui: c’est justement cette forme que nous avons aimée. Vous n’avez pas été rebutés par l’apparente difficulté. Toucher votre public, je ne pouvais espérer de plus grand succès. Si j’écris, c’est avant tout parce que j’aime lire, parce que je ne peux envisager de journée où je ne retrouve le soir, au coucher, un roman qui sera mon compagnon d’endormissement. J’ai besoin d’un vrai compagnon: d’un roman où je me sente bien, dont “existent” les personnages—grâce à une écriture sans complaisance où chaque mot est nécessaire. Je désire écrire des livres que mes lecteurs aient envie de retrouver le soir. Quand vous me dites que mes personnages sont restés avec vous une fois le livre refermé, vous me redonnez espoir. Cela veut dire que nous sommes pareils, qu’il n’y a pas de fossé de génération entre nous. Moi qui crains tant d’être un dinosaure dans un monde où plus personne ne lit et où l’image l’emporte sur le mot, je peux donc voir en vous de petits dinosaures qui vont grandir et peupler le monde d’autres bébés dinosaures?
Je souhaite que cette aventure vous ait donné le goût de retrouver le soir un compagnon de mots, et que votre curiosité vous aiguille vers les immenses espaces de la littérature, où vous guidera votre instinct. Il est difficile de donner des conseils, car deux personnes n’aiment pas les mêmes livres, ce que vous avez compris en débattant dans vos classes pendant deux mois. Mais on ne peut s’empêcher de vous suggérer d’aller voir du côté des Russes, Tolstoï et Dostoïevski, d’Edith Wharton et de Salinger par delà l’Atlantique, de Balzac et de Flaubert par chez nous. Entre autres, entre très nombreux autres. Juste un commencement…
Avec toute mon amitié,
Catherine
catherinecusset@yahoo.com
Cettre lettre a été publiée sur le blog de la Fnac ici
jeudi 5 février 2009
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